Hokkaïdô, point d'orgue au lac Mashu

Publié le par Adri

Un enchantement, une féerie, une merveille. Un véritable souffle d'admiration. La beauté à l'état sauvage, à l'état pur, à l'état poétique. Je ne sais quelles rimes, quels vers, quels qualificatifs pourraient décrire avec la plus grande précision le lac Mashu, lac perché à 350 mètres au dessus du niveau de la mer. Le lac Mashu constitue le clou du spectacle, le point d'orgue de notre périple à Hokkaïdô, tant la suspension émotionnelle qui nous a animés était forte. Comme tout point d'orgue, cet instant est devenu éternel, la baguette du chef-d'orchestre ne s'est jamais retournée pour mettre un terme à cette douce mélodie. La métaphore filée de la musique accompagnera je pense cet article qui épousera la forme la plus sentimentale de mon carnet Moleskine. Juste retour des choses. Juste boucle enfin bouclée de mon aventure japonaise. Ce blog ne prendra certainement pas fin ici, un dernier article sur Hokkaïdô devrait s'imbriguer ci-après, des réflexions que j'avais promises viendront certainement se greffer plus loin, des photos inédites prendront place aussi sur ces pages, des bilans également. Mais mon voyage initiatique s'arrêtera là, dans cet instant d'éternité. De la beauté vermeille de Miyajima au bleu acide du Mont-Aso, des contreforts du buddha de Kamakura aux temples zen de Fukuoka, de l'électricité enivrante de Shinjuku au calme abandonné de Beppu, de l'effervescence du carrefour Hachikô à la solitude des pêcheurs de Karatsu, de la majesté spirituelle de Nikkô au modernisme de Canal City, de Shimo-Kitazawa la paisible artiste à Kyôto la touriste mystique, de Yokohama à Fukuoka, de Haneda à Hakata, de paradoxes en paradoxes, de l'urbain au sauvage, du maritime au montagneux, mon Japon s'arrêtera là, au lac Mashu, écrin naturel où le temps s'arrête.
La route qui mène au lac serpente entre une végétation qui se raréfie au fil des kilomètres engloutis. La brume est persistante, une mer de nuages moutonne en contre-bas. Seuls les plus hauts sommets d'Hokkaïdô se détachent dans le panorama.
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Le lac Mashu (摩周湖) est calfeutré dans le cratère d'un volcan endormi ayant la forme d'une virgule. Sa circonférence est proche des vingt kilomètres. La présence de cette brume est finalement rassurante. Une légende locale qui prend forme de malédiction raconte que le voyageur qui arrive sur les bords du lac par un temps ensoleillé et qui parvient à apercevoir l'île qui flotte au milieu du lac ne connaîtra pas la réussite dans sa vie et ne pourra pas se marier. Le brouillard est tenace dans la région où un micro-climat, jouissant d'une météo totalement instable, semble s'être installé ici. Nous n'arriverons donc pas sous un soleil éclatant, le long des crêtes, les nuées masquent les derniers arbres, les quelques visiteurs qui arpentent les pentes du volcan.
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Nous arrêtons là la voiture. Quelques mètres sont à franchir. Nous n'apercevons pour l'instant que les marches qui mènent à un point de vue isolé. Le lac est inaccessible. Impossible de s'approcher, il ne se laisse contempler qu'en vue aérienne, sur ce perchoir hallucinant placé à près de 670 mètres d'altitude. Merveilleux. Au centre flotte l'île dont il est question dans la légende. Mais peut-on décemment affirmer avoir raté son existence en admirant de tels espaces naturels ? L'île est nommée par les Aïnous kamuishima. Ce qui signifie l'île des dieux. L'un de ces dieux se serait réincarné en cette île, ce qui fait d'elle l'un des lieux sacrés les plus importants. Une autre légende, infiniment plus triste, est quelques fois avancée : la mère d'un chef de tribu récemment tué fuit avec son petit-fils qui s'égara. L'ayant vainement recherché, elle demanda l'hospitalité au mont qui domine le lac Mashu et percluse de fatigue et de tristesse, son repos se commua en île. Je vous laisse contempler la vue du lac :
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La clarté des eaux est remarquable. Le lac, bien qu'en phase d'assombrissement, est considéré comme le lac le plus transparent au monde après le lac Baikal, situé au sud de la Sibérie, en Russie orientale. Pour information, le lac Baikal est tout de même la plus grande réserve d'eau douce liquide de surface au monde. Alors que ce dernier laisse percer la lumière jusqu'à quarante mètres de profondeur, le lac Mashu offre une visibilité à plus de trente-cinq mètres de profondeur lorsque le ciel pointe ses rayons dans le bleu du lac. Les caractéristiques naturelles de ce lac sont simplement phénoménales. Outre sa transparence, le niveau du lac est connu pour demeurer exactement le même bien qu'il n'y ait aucune entrée ni sortie d'eau. Aucun cours d'eau n'alimente ou ne s'échappe de ce lac totalement fermé. La constance du niveau de ses eaux serait due aux seuls équilibres naturels d'évaporation et de pluviométrie. La profondeur du lac est estimée à 140 mètres. Les côtes du lac sont raides, il semble que la profondeur soit rapidement importante. Au pied des falaises qui prennent la forme de claviers superposés, la roche se glisse dans les eaux transparentes avec facilité. Il semble de si haut que le reflet soit parfait. Nul reflet ici, il s'agit tout simplement des fonds sous-marins qui offrent une vue très intéressante.
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Le vent qui s'engouffre dans le cratère sifflote contre nos oreilles et désoriente les nuages. Il est le seul à troubler le silence respectueux que les Japonais vénèrent ici. Nous sommes, il me semble, les seuls occidentaux aujourd'hui. L'endroit respire le calme, la poésie, l'admiration, les alpages. Une flore alpine s'est en effet développée sur les rivages du lac, l'île d'Hokkaïdô étant globalement située à une latitude comprise entre celle de Bastia et de Grenoble en France, en grossissant un peu le trait. Au détour d'un regard, une edelweiss, laquelle serait originaire de Sibérie, belle coïncidence, ravive mes souvenirs montagnards. Au loin, une soldanelle, peut-être, surplombe les eaux de Mashu. Tout inspire ici à l'admiration, au souffle coupé, à la beauté des arts. Le vent inonde les crêtes de son cri strident et souffloteux, une femme illustre une feuille blanche d'une pointe charbonneuse, les appareils-photos crépitent constamment.
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Les couleurs se mélangent dans une harmonie étonnante. Le Shintoïsme est évident ici. La croyance en cette religion et ses fondements devient limpide en ces lieux où la nature étale ses partitions assourdissantes. Cet endroit est habité par une âme incontrôlable, une divinité auréolée d'un cadre aux plus beaux atouts. Le brouillard offre une altération mystique supplémentaire au lac Mashu. Les reflets des crêtes du cratère s'ancrent dans les eaux au bleu si particulier de la plus belle étendue d'eau du pays. Florilège :
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Bouquet final. Point d'orgue de pages qui auront évolué dans un lent crescendo émotionnel, quelque peu poétique et métaphorique. Il est intéressant de constater que je ressente, aujourd'hui, le même frisson a posteriori en écrivant ces lignes. Sans évoquer Proust, une certaine nostalgie s'installe aussi.
Le voyage initiatique se termine ici. Mes carnets de voyages vont continuer mais plus rien ne sera aussi fort. Plus rien ne sera aussi beau. Si Nietzsche, qui m'a porté chance au dernier exercice de Grand Oral de Sciences Po, disait : "la Terre a une peau et cette peau a des maladies ; une de ces maladies s'appelle l'homme", c'est qu'il n'a peut-être pas rencontré, lui l'admirateur des cultures orientales, ce grain de beauté, les rivages du lac Mashu et ses fervents admirateurs. Il est des rencontres qui apaisent l'âme et qui rappellent aux individus la faveur qui leur est faite de coexister un temps avec la planète bleue.

Publié dans Hokkaïdô

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V
<br /> Je vous remercie de votre réponse, et je suis tout à fait apte à comprendre votre position. Ce n'est pas un problème.<br /> <br /> Bravo pour votre blog aussi.<br /> <br /> Vasili<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Bonjour, j'aimerai me servir d'une de vos photos pour un article Wikipédia sur le Lac Mashu. Je voudrai avoir votre accord si ce serait possible.<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Je vous remercie pour l'intérêt que vous portez au blog que j'ai rédigé au cours de mon expérience japonaise.<br /> Malheureusement, je ne suis pas l'auteur de toutes les photos de ce blog, notamment pour la catégorie traitant d'Hokkaïdo. Ne pouvant pas le contacter sous peu, c'est avec regret que je suis<br /> obligé, dans un respect des droits d'auteur, de m'opposer à ce que vous vous serviez de ces clichés.<br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Boulversant.....Magnifique.......que dire de plus,tu le dis si bien....c'est vraiment un bouquet final plein de beauté,de sensibilité ,d'émotions qui laisseront des traces indélébiles.......pour<br /> moi parmi tous tes articles celui-la est le plus émouvant.....BISOUS<br /> <br /> <br />
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