L'A380 pour Skymark Airlines ?

Publié le par Adri

Mon sang n'a fait qu'un tour. L'information a chatouillé mes oreilles et mes yeux instantanément. Skymark Airlines, cette petite compagnie low-cost dont je vous ai vanté l'existence et les mérites à plusieurs reprises par  ou encore dans ce sens-ci, s'est portée acquéreur le 8 novembre dernier de six Airbus 380 dont deux en option pour l'horizon 2014-2015. Une fois n'est pas coutume, je vais aborder ici un pan d'actualité, qui s'inscrit parfaitement dans mon intérêt pour les transports en commun japonais dont je vous ai conté ça ou là les compétences. L'annonce de ce pré-contrat est aussi inattendue qu'exceptionnelle. Si tout se passe bien entre l'avionneur européen et la compagnie japonaise, le contrat sera formellement conclu au printemps 2011. Pourquoi est-ce si remarquable ? Pour plusieurs raisons qui tiennent compte particulièrement du critère socio-économique et historique, dont j'ai déjà longuement parlé : le partenariat économique quasi-exclusif, au moins en matière d'aviation, avec le géant américain Boeing, l'un des moteurs des exportations américaines, depuis 1945. Les chiffres sont éloquents : 95 % des avions en circulation sous bannière japonaise sont des Boeing. Japan Airlines (JAL) compte dans sa flotte seulement vingt-deux A300 alors qu'elle disposait, jusque récemment, de la plus grande flotte du monde de Boeing 767 et 747. All Nippon Airways (ANA) possède, elle, trente-trois A320 et est à ce jour, le partenaire japonais le plus proche d'Airbus en termes de contrats de vente ou de leasing. (le leasing, ou crédit-bail, est une opération financière par laquelle une entreprise donne en location, en échange d'une redevance, un bien à un preneur, qui à tout moment du contrat mais généralement à l'échéance, peut se porter acquéreur du bien loué à un prix fixé à la location.) Skymark Airlines, pour sa part, n'exploite en 2010 que des Boeing 737 après s'être séparée de son dernier exemplaire de Boeing 767 en 2009. Voici ci-dessous une photo du siège social de Skymark, basé au sein de l'aéroport Haneda à Tôkyô.
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Airbus n'est donc a priori pas bien implanté au sein des compagnies japonaises. De plus, JAL qui connait des difficultés financières abyssales a décidé récemment de retirer une centaine d'avions de sa flotte, dont les vingt-deux A300. Les chances sont faibles pour que JAL, sauvée par le gouvernement japonais en janvier 2010, se positionne en tant que client d'Airbus, davantage encore de l'A380. Cependant, cette situation est peut-être un vecteur d'opportunités pour Airbus. La pré-commande annoncée par Skymark Airlines et confirmée par Airbus Japan est réalisée dans le but de prendre la place que JAL est en phase de laisser vacante. La compagnie low-cost opérant des vols domestiques et seulement deux lignes internationales ouvertes vers Séoul et Guam a en effet signifié son intention d'ouvrir des liaisons avec les Etats-Unis d'Amérique et l'Europe avec l'arrivée future de l'A380. Elle souhaite également mettre en service le Super Jumbo d'Airbus pour ses liaisons domestiques. L'idée n'est pas saugrenue, la route aérienne Tôkyô Haneda - Sapporo New Chitose est en effet la plus importante au monde en termes de fréquentation de passagers. Airbus surfe d'ailleurs sur ces données propres au Japon en vantant l'avantage comparatif de son aéronef, emportant plus de passagers, développant un bilan carbone plus faible par passager que n'importe quel avion, plus silencieux, plus innovant et moins gourmand en kérosène par passager que ses concurrents. L'A380, ce n'est pas un secret, permet de réaliser des économies d'échelle en remplaçant à lui-seul deux voire trois départs rapprochés. Seule la question des cycles est à l'étude. Airbus s'en défend mais il semble que le Super Jumbo soit un avion conçu pour les longues distances et lui faire réaliser de courtes rotations sera pour Skymark, si l'accord se finalise, une expérience dont on imagine que les prévisions auront été soigneusement étudiées. L'annonce de ce pré-contrat aura été une réelle surprise pour le monde de l'aéronautique, notamment au Japon et de la part d'une compagnie internationalement peu connue et qui opére pour le moment sur des "petits" B737-800 dont voici un exemplaire, en partance de Haneda pour Sapporo un certain matin de juillet 2009 :
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Quoiqu'il en soit, cette annonce a ravi les dirigeants d'Airbus et par extension ceux de sa maison-mère EADS. Il est vrai que cette probable signature, d'un contrat de vente qui rapportera la bagatelle de deux milliards d'euros au prix catalogue, est un succès commercial exceptionnel pour Airbus, notamment dans sa lutte concurrentielle avec le natif de Seattle, Boeing, qui dure depuis le lancement de l'A300 en 1972. Si Boeing a considérablement écrasé Airbus pendant trente ans, Airbus l'a doublé au tournant de 2001 en enregistrant plus de commandes et en livrant davantage d'avions que son concurrent en moyenne par an, à l'exception de 2006 et 2007. Boeing souffre d'un certain archaïsme technologique du fait par exemple de l'utilisation de pièces conçues dans les années 1950 pour les 737 ou encore de l'ancienneté de sa star 747 dont les premiers modèles datent de 1969 même s'ils ont perpétuellement été améliorés. Cette supériorité technologique d'Airbus combinée à la croissance des ventes de l'A380 et au retard de conception de son futur concurrent, le B787 Dreamliner, place le constructeur européen pour l'instant en position de leader mondial, en ayant investi le marché des très gros porteurs. Cependant, certains analystes estiment que l'A380 n'atteindra jamais le seuil de rentabilité envisagé au départ et que cette suprématie pourrait rapidement s'inverser notamment avec le succès incontestable du gros porteur 777.
A380
L'annonce par Skymark Airlines, qui n'a pas encore choisi de motoriste après l'incident que Quantas a récemment connu sur les réacteurs développés pour l'A380 par Rolls-Royce, constitue un cadeau particulier pour Airbus car les compagnies low-cost, à l'instar de Skymark, ont toujours préféré les B737 aux petits et moyens porteurs d'Airbus. De plus, l'avionneur européen souhaitait depuis de longs mois pénétrer le marché japonais. L'A380, que vous pouvez voir sur le cliché ci-dessus, a en effet été présenté à plusieurs reprises au cours de démonstrations promotionnelles sur le sol japonais, notamment à Tôkyô-Narita et sur le nouveau tarmac de Tôkyô-Haneda, en phase d'agrandissement et hub de Skymark Airlines. Il atterrit également quotidiennement à Narita sous les couleurs de trois compagnies internationales que sont Singapore Airlines depuis 2008, Lufthansa, depuis juin 2010, et AirFrance depuis septembre 2010. Autant dire que cette annonce est une tentative de poids de la part d'une petite compagnie qui envisage de ne pas utiliser uniquement les A380 en version charter comme il est d'usage pour les low-cost. Avec elle et les difficultés que subit JAL, c'est peut-être bien tout le paysage aéronautique japonais qui opère une mue. ANA pourrait de ce fait envisager de se tourner vers le marché des très gros porteurs. Bien que l'adage soit connu là aussi, business is business, voyons ici peut-être un facteur supplémentaire de rapprochement basé sur les échanges commerciaux et technologiques mais aussi culturels et de population entre le Japon et l'Europe.

Publié dans Transports japonais

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P
<br /> Je vois que tu es toujours autant prolixe....c'est indéniablement une période qui t'a marqué positivement. Le mélange intemporel des articles est intéressant et permet une approche complète de la<br /> civilisation japonaise.<br /> <br /> <br />
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