Les grands crus du sanctuaire Meiji...

Publié le par Adri

Le parc de Yoyogi s'étend en longueur sur plus de deux stations de train : Yoyogi et Harajuku. Nous descendons à la deuxième, quartier jeune et branché où se retrouvent les amateurs de cosplay. D'un côté de la voie ferrée, ou devrais-je dire plutôt de la multitude des voies ferrées, le quartier fait de buildings et de magasins à la mode attire la jeunesse tokyoïte. De l'autre côté, le parc de Yoyogi et plus exactement, l'entrée du sanctuaire Meiji reçoit davantage les touristes de tous bords, catégories dont nous faisons partie bien entendu. Depuis le début, je n'ai jamais cessé de me sentir dans la peau d'un visiteur de passage, conscient de la chance incroyable que j'ai de pouvoir vivre ici mais sans jamais me sentir stabilisé, toujours en quête de nouvelles découvertes et de lieux que je ne reverrai pas de sitôt. Cette sensation a perduré avec mes parents, touristes pour de bon, puisque nous avons, en plus de partager mon expérience à Fukuoka, découvert ensemble des endroits où j'avais envie de me rendre depuis longtemps : Miyajima, Hiroshima, Aso... Nous sommes restés sur la même dynamique à Tôkyô car je n'étais jamais allé voir ce sanctuaire, ni même monté au sommet de la mairie.
Nous pénétrons dans le parc en passant sous un premier torii monumental. La ville semble s'essouffler, les bruits s'éloignent petit à petit plus nous avançons dans la forêt artificielle qui entoure le parc Yoyogi. Tôkyô révèle un nouveau caractère encore, calme et apaisant, refuge verdoyant pour les fatigués de l'agitation urbaine. Bientôt nous arrivons devant des tonneaux. Des tonneaux... Oui, par dizaines. Sur la gauche, les plus grands crus du vignoble de Bourgogne se succèdent. Sur la droite, les meilleurs sakés du pays sont exposés. Face-à-face improbable ou évident ?















De par mes activités quotidiennes à Fukuoka, je penche pour le caractère évident bien-sûr. France et Japon ont fêté l'an passé le cent-cinquantième anniversaire du début de leurs relations diplomatiques. Mon travail consiste à faire des ponts chaque jour entre ces deux cultures qui sont pourtant l'antithèse l'une de l'autre. C'est pour cela, autant que les inscriptions luxueuses ou les petites musiques d'ascenseur où l'on reconnaît la langue de Molière qui nous font sourire, que trouver des grands crus de Bourgogne ici est quelque peu improbable. La raison est assez simple. Le Japon a longtemps eu une politique isolationniste poussée à l'extrême. Cette politique a été mise en place en 1641 par Iemitsu Tokugawa pour expulser les ecclésiastiques qui voulaient catholiciser le Japon. Le Japon s'est alors refermé, les japonais n'avaient pas le droit de sortir du pays sous peine d'incarcérations et le seul port ouvert au commerce extérieur était celui de Nagasaki, c'est-à-dire le bout du monde à l'époque par rapport à Edo (Tôkyô) fraîchement choisie pour capitale. Les bateaux n'étaient pas autorisés à quitter l'archipel. N'étaient acceptés que les navires en provenance de Chine et des Pays-Bas. Seul le commodore Matthew Perry, en 1853, a forcé les autorités japonaises à obtenir un droit de commercer avec le Japon en jetant l'ancre dans la baie de Edo. Il réussit à débarquer finalement où il voulut, en 1854, sur la péninsule d'Izû, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Tôkyô, à la tête de la flotte des "bateaux noirs" composée d'américains, de britanniques, de français, de russes et de néerlandais. C'est le début de la réouverture du Japon sur l'extérieur. Suite à cet épisode et avec l'arrivée au pouvoir en 1868 du prince Mutsuhito qui deviendra l'empereur Meiji, le Japon s'est largement ouvert sur l'extérieur et s'est modernisé de façon très symbolique, notamment avec la fin du système féodal et l'abolition de la classe guerrière des samuraïs, symboles de conservatisme. L'empereur Meiji aimait la culture occidentale et notamment les bons vins français. C'est pour cette raison qu'en offrande, répondent aux tonneaux de sakés traditionnellement offerts dans les sanctuaires shintoïstes, des tonneaux de grands crus légués par de généreux donateurs. Cette allée et ce face-à-face sont les témoins de l'ouverture du Japon, commerciale mais aussi bien-sûr intellectuelle et culturelle.
Le sanctuaire porte en lui toute cette symbolique. Construit de 1912 à 1920, il est dédié aux âmes divines de l'empereur et de sa femme. Ses matériaux datent de 1958 car il a été reconstruit après avoir été détruit par les bombardements alliés durant la Seconde Guerre mondiale.
















On accède au sanctuaire par deux torii monumentaux. Le second, qui jouxte l'entrée d'un jardin japonais traditionnel, est le plus grand du pays dans le style Myojin, c'est-à-dire deux piliers qui relient une assise transversale.

Ce torii a des dimensions colossales : haut de 12 mètres, chaque pilier a un diamètre de 1.2 mètre et la distance entre les deux piliers est de 9.1 mètres. Reconstruit à l'identique de l'original de 1920, il a été façonné en cyprès japonais appelé hiraki, provenant de Taiwan et vieux de... 1.500 ans. La provenance de ce bois est également très symbolique. Taiwan est en effet la première acquisition extérieure importante du Japon en 1895 suite à la guerre sino-japonaise. Cette politique était un souhait de l'empereur Meiji, aidé dans le commandement militaire par Louis-Émile Bertin, savant et ingénieur naval de génie. Ce dernier, en mission commandée, permit au Japon d'acquérir une puissance navale supérieure à celle de la Chine. Bertin était l'un des meilleurs amis de Mutsuhito et était, vous l'avez compris, français... Le dernier texte que j'ai signé pour le site Internet de l'Institut a sa dernière phrase, soufflée par Matthieu, mon directeur, caractéristique de cette situation : "La France, le Japon. Si loin, si proche." Elle se révèle si vraie en somme.

Publié dans Tôkyô et environs

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